La vie d’Antonio CAVAGNA ou le pourquoi de l’émigration italienne

lombardie«Je suis né le 22 août 1879 à San Gallo, hameau de San Giovanni Bianco, région de Bergamo, Lombardia, Italia. Mes parents Domenico et Giovanna CAVAGNA me prénomment Antonio. Je suis le 3ème enfant d’une fratrie de 7 et l’aîné des garçons. Je sais très tôt que je vais devoir aider mon père à nourrir la famille. Je grandis dans cette région boisée en haute plaine proche de la montagne. Les cultures produisent peu. L’Italie est trop peuplée, tout le monde ne peut pas vivre correctement.

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Mon père est charbonnier. Il fabrique et livre du charbon de bois. Le bois est la principale ressource de mon village. C’est une profession physique, éprouvante et salissante.

telechargement-1Il faut couper le bois et le chauffer. Je vis dans cette torpeur dès mon plus jeune âge et l’aide dès que possible. C’est probablement lors du travail du bois que je me blesse et que je garderai la cicatrice dans la chevelure qui sera remarquée lors de mon service militaire.

Lors des veillées j’écoute les anciens raconter que le gouvernement facilite les départs et que la vie est meilleure à l’extérieur de nos frontières. La population est ainsi régulée et les expatriés aident et investissent financièrement pour les familles restées au pays. J’y pense très souvent avec mes cousins et mon adolescence se passe ainsi.

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Mes rêves d’ailleurs sont mis entre parenthèses. Mon 20ème anniversaire me voit recensé sur le registre militaire de ma commune. Le service militaire est alors de 3 ans. Un quota est tiré au sort chaque année. Je suis soldat de 1ère catégorie (dans le 1er contingent, je suis sûr que je partirai mais quand?). Je passe devant le conseil de révision le 10 octobre 1899 et on me met en congé illimité, c’est-à-dire en attente que l’on ait besoin de moi. Je suis finalement appelé le 27 mars 1900. On me fait signer pour deux ans. Je suis affecté le 1er avril 1900 dans le 5ème régiment alpin 49ème compagnie. Je reçois une formation militaire et je participe à des exercices en montagne. Je suis très attentif, je me dis que mes rêves de nouvelle vie se réaliseront peut-être de l’autre côté de ma montagne «les Alpes». On me rend à la vie civile le 14 septembre 1901. Je reste dans la réserve comme tous les conscrits.

J’épouse le 8 février 1903 Lucia MILESI, une jeune fille née le 22 novembre 1880 dans le hameau voisin du mien Fupiano al Brembo. Mon plus jeune frère n’a que 10 ans à la naissance de mon premier fils François Jean (dit Dominique) le 25 septembre 1904, puis nous rejoignent Giovanni le 25 août 1905 et Angelo Joseph le 22 août 1907. Je ne peux plus du tout aider mes parents. La question du départ est omniprésente. Dans notre entourage, beaucoup ont franchi le pas, certains sont partis aux Amériques, d’autres sont restés en Europe.

Je quitte l’Italie avec d’autres hommes, des cousins pour l’essentiel mais aussi avec femme et enfants afin de franchir «les Alpes». Nous avons évidemment choisi de nous installer dans une forêt. Le bois, ce matériau si connu nous permettra à la fois de construire notre maison et de proposer nos services à l’embauche.

Ce sera la forêt de La Balme-les-Grottes dans le Nord-Isère au lieu-dit «le grand champ».

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Emplacement des forêts

Il n’y a que 450 km entre San-Giovanni et La Balme-les-Grottes. Mais les enfants sont jeunes, les voies de circulation chaotiques. Ce voyage prend des allures d’expédition. La montagne devient hostile, heureusement mes connaissances de l’armée sont utiles et nous parvenons à destination. Malgré tout, nous arrivons très éprouvés. Nous sommes enregistrés à la Mairie le 4 avril 1909 après notre arrivée le 2 juillet 1908.

L’emplacement que nous découvrons nous permet d’avoir rapidement un toit et un potager. Je cultive plusieurs rangées de plants de tomate. Nous voilà chez nous !

Comme beaucoup de mes concitoyens je suis dur à la tâche et peu exigeant sur les conditions de travail et de salaires. Je trouve facilement à louer mes bras pour réaliser toute sorte de tâches sur le bois.

Je suis à nouveau papa, tout d’abord naît Louis François le 31 mars 1909, Noël Sébastien le 25 décembre 1910, Félix Paul le 20 octobre 1912 puis Léon Jacques le 10 juin 1914. Mon épouse accouche à la maison sauf pour Léon Jacques où il y a des complications et elle se rend chez l’accoucheuse de Montalieu-Vercieu.

L’Histoire me rattrape dans la force de l’âge et je participe à la Guerre 14-18 au côté des troupes italiennes. Je suis rappelé le 14 juillet 1915 et le 29 je rejoins le 3ème régiment alpin. Je suis affecté au quartier général de Piano d’Arta le 25 mai 1916. Mon âge fait que je ne participe pas directement aux combats et je participe à l’avitaillement du 84ème groupe de siège le 17 juillet 1916. Je suis transféré le 28 octobre 1917 au 8ème régiment d’artillerie de forteresse, 117ème batterie de siège. Je suis démobilisé le 13 janvier 1919.

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Mon épouse me remplace tout au long de ces années en s’occupant de main de maître des enfants, du potager et de la maison comme elle l’avait fait auparavant et le fera toujours par la suite malgré le déracinement.

A mon retour, vient nous rejoindre notre fille Annette Lucienne le 29 juin 1921 en notre nouvelle maison d’Amblagnieu.

telechargement-2Ma vie professionnelle prend un nouveau tour. Je suis embauché comme voiturier. Il s’agit d’effectuer le transport de marchandises en voiture à cheval puis peu à peu d’acquérir la modernisation. Mes compétences dans le domaine du bois me sont encore et toujours précieuses afin de réparer et entretenir les voitures.

Malheureusement tout n’est pas rose. Nous sommes des étrangers et les populations locales nous ressentent comme des intrus qui leur volent leur travail et tirent les salaires vers le bas.

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medium-1Afin de prouver notre volonté d’intégration, nous déposons en 1931 un dossier de naturalisation.

Nous devenons Antoine et Lucie. Nous ne reverrons jamais l’Italie et nos enfants nés en France ne s’y rendront jamais.»

8 réflexions sur “La vie d’Antonio CAVAGNA ou le pourquoi de l’émigration italienne

  1. Briqueloup dit :

    Ce billet est très réussi. J’aime bien l’idée de faire parler Antonio à la première personne, il devient proche de nous et on suit son parcours avec grand intérêt. Cela n’a pas dû être facile pour eux de quitter leur pays.

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  2. Jeanne dit :

    Magnifique histoire superbement bien racontée! Félicitations.
    Je vis dans une région ou nous avons eu beaucoup de familles Italiennes et le nom de Milési est très courant ici. D’autres noms d’autres familles venaient de San Giovanni Bianco, Ils étaient nombreux de venir de la région de Bergame ! Et j’ai conservé un excellent souvenir de tous !
    Merci pour ce billet

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